Aventure culinaire ordinaire au royaume de Siam...

Aventure culinaire ordinaire au royaume de Siam...

Fraîchement débarqué a Bangkok, voila trois jours que vous allez au "Mad Cownald's". Donc, à quoi bon être venu en Thaïlande, pensez-vous? Dans un sursaut de témérité, vous décidez alors de franchir la porte d'un restaurant thaïlandais...

[Légende dessin: Gargl!!! je croyais que c'était la date dans l'année bouddhique]

Ca y est! Vous y êtes. Le moins qu'on puisse dire, c'est que cela ne paye pas de mine. Là, au moins, il y a un côté fonctionnel dans la "déco" qui laisse présumer qu'on se préoccupe d'abord de ce que l'on a dans l'assiette et que l’on ne vous majorera pas la note de 100% pour la consommation électrique des néons.

          Le serveur vous dévisage de la tête aux pieds et vous demande: «combien de personnes êtes-vous?» Et là, très surpris, vous vous retournez pour vérifier si vous n'avez pas été suivi ou pour vous assurer que vos ombres respectives sont toujours allongées par terre... à moins que l'on vous prenne pour un frère et une sœur siamois?

Non, non, vous êtes bien deux, deux entités bien distinctes (surtout lorsqu'il s'agit de se mettre d'accord sur un resto ou aller), un vrai couple quoi! Vous vous demandez quand même : «je sais que les Thaïlandais ne nous considèrent pas comme des êtres humains à part entière mais de là à nous prendre pour plusieurs personnes à la fois!» .

         Ne vous formalisez pas. En fait cette vérification de routine tire son origine de la guerre du Vietnam. A cette époque en effet, quand un G.I. américain en permission - genre deux mètres de haut sur deux mètres de large - rentrait dans un resto pour se taper un buffet-lunch, personne ne remarquait derrière lui les quelques copines thaïlandaises qu'il avait invites à manger. Tant et si bien que le resto ne facturait qu'une personne el on imagine le manque à gagner en considérant qu'un GI de quatre mètres carrés qui fait la guerre, ça doit avoir l’appétit de trois doberman!

          Vous prenez place. Le serveur vous dévisage les yeux écarquillés «Qu'est-ce qu'il veut celui-là?». Bien sur, vous pensez «Que peut-on bien vouloir quand on va au restaurant?» Mais n'oubliez pas qu'aux yeux des locaux, un "Farang" semble n'appartenir à aucune logique. Par exemple, il est capable de demander où sont les toilettes avant-même d'avoir commande à manger! Ou alors de partir aux toilettes en emportant la moitié du rouleau de papier hygiénique qui était sur la table pour en faire Dieu sait quoi?!! Vous demandez le "menou" et voila notre serveur un peu rassuré...

          Vous plongez aussitôt dans la decryptation de signes bien mystérieux: le menu est en thaï pardi! Quoi de plus normal? Y'a-t-il des menus en japonais dans un resto français de Tokyo? Vous rigolez. Si c'était le cas, les Japonais n'y mettraient jamais les pieds! Vous vociférez imm6dialemenl que vous voulez un menu en anglais! Qu'est-ce que cela va changer pour vous de pouvoir lire «Yam Pla Duk Fou» si la composition de ce plat reste un total mystère jusqu'a ce qu'il rentre en contact avec vos papilles gustatives. En vérité, cela reste souvent à jamais un mystère encore que certaines réactions de votre appareil digestif vous permettent au moins d'en déduire la présence d'amibes pas très catholiques... Le serveur finit par vous amener un menu en anglais.

          Celui-ci est plus court et les prix semblent tous avoir doublé. Vous pestiférez! Vous oubliez une chose: certains plats ont disparu parce que le simple fait de les traduire vous aurait coupe net l'appétit! Quant aux prix, il faut bien amortir le coût de la traduction. Estimez-vous heureux que ce ne soit pas un docteur es lettres de Chulalongkorn qui l'ait écrite!

          Apres avoir trouve un plat à la consonance rassurante de "fried rice with shrimp", vous voilà prêt à commander. Or le serveur ne se préoccupe plus de vous. Cela vous étonne? Lui avez-vous jamais mentionné que vous désiriez manger? Non, vous lui avez seulement demandé le menu! Vous êtes maintenant occupé à capter l'attention des serveurs et serveuses dont le surnombre pourrait laisser penser que le regard d'AU MOINS L'UN D'ENTRE EUX devrait forcement converger un jour ou l'autre vers votre table par la même loi universelle des statistiques qui fait que tous les 3,482 tribibiar-dions-de-dions-de-dions, un astéroïde de la masse de Raymond Barre tombe dans votre soupe.

          N’empêche que vous commencez à perdre patience. Vous claquez des doigts. Vous faites du bruit avec vos couverts. Vous lancez des «OH-OOOH» qui restent sans écho. Il semble que plus vous faites vibrer l'air et plus vous devenez invisible.

          Ne vous êtes-vous jamais demandé de quoi vous pouviez avoir l'air aux yeux d'un Thaïlandais lorsque vous perdez patience, que votre tête déjà assez repoussante comme ça devient écarlate et que vous faites des moulinets avec vos grands bras ridicules d'orang-outang? Et bien, vous leur faites tout simplement peur! Bon allez, vous passez vos nerfs sur votre épouse histoire de retrouver votre calme et comme par enchantement, un serveur s'approche. Vous commandez un riz frit aux crevettes et un steak-frites saignant en vous assurant que le serveur a bien compris la signification de "saignant". Oui, il a compris bien que vous ne connaissez même pas le mot anglais pour ça. C'est parti. Dix minutes... vingt minutes... Tiens? II vous semble avoir aperçu quelqu'un qui revenait avec un sac de provisions rempli de patates. Y aurait-il une relation avec le steak-frites que vous avez commandé? Dix minutes encore... Et voila le steak-frites qui arrive! Qu'est-ce que...? Mais? II semblerait qu'il y ait une inversion dans les instructions. En fait, ce sont les frites qui sont saignantes... d'huile! Quant au steak, vous vous demandez franchement s'il ne l'a pas cuit au feu de bois puis inversé négligemment avec un morceau de charbon. Enfin! Vous n'attraperez pas la vache folle c'est certain.

C'est de votre faute. Vous avez donné vos consignes au serveur; c'était au cuisinier qu'il fallait les donner! Et puis même, c'est faire preuve d'extrême vanité que de croire que vous - barbare mangeur de viande crue – vous allez changer, en une fraction de seconde, mille ans de conditionnement culturel culinaire à jamais gravé dans l'ADN du cuistot!

          Vous renvoyez le steak en réexpliquant avec une patience pas très contenue comment VOUS VOULEZ votre steak. Retour aux cuisines. Un steak réapparaît dix minutes plus tard. Cette fois, il est "medium”. On brûle, on brûle... Les frites, par centre, sont froides. Vous recommandez des frites en précisant que celles-ci sont immangeables... Les frites repartent. Vous attendez un peu histoire d'avoir les frites en même temps que le steak.

          Cinq minutes... dix minutes... Vous tremblez a l'idée de voir le commis aux vivres repartir avec un sac a provisions. Vous n'en pouvez plus et vous dévorez le steak! Tant pis pour les frites... qui arrivent juste au moment où vous engloutissez le dernier morceau de viande! Cette fois, c'en est trop! Vous décidez de "checker la bill".

          Celle-ci comporte 2 steak-frites + 1 supplément de frites + 1 khao-phat koung + le homard thermidor de votre voisin. Quinze minutes de palabres. Vous sortez épuisé mais votre épouse est ravie d'avoir perdu deux kilos en allant au restaurant!

          Et qu'est-il advenu du riz frit aux crevettes? Vous ne voulez plus vraiment le savoir mais je vais quand même vous le dire: il n'y avait plus de crevettes, alors pour sauver votre face, les serveurs eurent la délicatesse de ne pas vous le dire, attendant que vous l'oubliez. Votre face mérite tout de même plus de respect que votre estomac...

Stéphane Peray (Gavroche nº37 – Avril 1997)



17/11/2010
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