Sakdi-na: Le filigrane siamois
Toute société est forcément hiérarchisée. Les bases du système social thaïlandais (sakdi-na) furent établies par le roi Boromma-Trailok-Nat («maître suprême des trois mondes», 1448-1488), il y a un demi millénaire.
'Sakdi' vient du sanskrit 'shakti' (énergie, pouvoir) et 'na' est le mot thaï pour 'surface cultivée'. Les terres étaient attribuées par le souverain pour récompenser ses sujets les plus fidèles, leur conférant un statut en rapport avec la taille du domaine.
Il y avait donc les propriétaires terriens et les autres, avec les interactions (selon les privilèges et les obligations) que cela suppose. Ces règles se sont naturellement adaptées au fil des siècles.
Le roi Rama 1er (1782-1809), fondateur de la dynastie actuelle, les avait codifiées officiellement dans son recueil de lois, dites des «Trois Sceaux».
Elles furent logiquement abolies lors du coup d'état de 1932, (sous Rama VII) mais on n'efface pas ainsi ce qui est ancré dans la conscience collective de toute une nation depuis si longtemps.
Surtout lorsque l'immense majorité du peuple avait accepté l'ordre établi, consistant à définir précisément la position et le rang de chacun selon sa naissance et ses mérites.
C'est un principe évidemment fort complexe et subtil. Les chercheurs (historiens et sociologues) continuent d'ailleurs de travailler sur le sujet.
Grosso modo, comme dans beaucoup de civilisations, il s'agissait d'institutionnaliser les rapports entre l'aristocratie et le peuple. Une sorte de système des castes en constante évolution, au gré des mouvements de l'Histoire.
Ainsi, les immigrants chinois, au départ exclus de l'échelle sociale, ont fini par se retrouver dans les hautes sphères, grâce à leur labeur. Néanmoins, la Thaïlande moderne, malgré l'influence occidentale, n'a toujours pas évacué cet héritage féodal.
On peut même expliquer, en schématisant de façon simpliste, le conflit des chemises rouges et des chemines jaunes: les masses rurales contre l'élite bourgeoise. Sans compter que beaucoup de citadins sont d'origine paysanne…
Raymond Vergé